vendredi 15 août 2014

La douleur

Aline, mon Alinou, ma soeur âme, c'est à toi que je m'adresse. Comme je ne savais pas de quelle façon, j'allais m'y prendre, je suis retournée dans mon refuge. Ici, personne ne me voit, c'est une façon de parler naturellement, mais ici est mon coin, là, je peux écrire.
Ce matin, lorsque j'ai eu sous les yeux ton message, je n'ai pas bondi, je n'ai pas tressauté, à vrai dire, j'attendais tes mots, j'en ignorais le jour.
Je suis allée sur le balcon, j'ai gonflé la cage thoracique en me disant qu'il me fallait aspirer une sacrée goulée d'air et j'ai tout vidé d'un seul coup, un grand "splash" de poumons, les larmes sont venues,  un paquet, un seau de larmes, de celles qu'on contient depuis longtemps, des vieilles larmes aussi qui commençaient à se fossiliser, entraînées par les crues, elles ont enfin trouvé le chemin de la sortie, une vraie cataracte de larmes jusqu'à la dissipation complète. Mirage ? non pas, ces larmes ont bien coulé mais là, maintenant, je me sens à nouveau verticale, je peux dire.

Aline, mon Alinou, ma soeur âme, ton coeur est le mien, nous sommes aujourd'hui aux mêmes pulsations, ta souffrance, ton indicible souffrance, je l'entends battre sous mon sein gauche, faut-il rajouter quelque chose ? oui, certainement, je n'ai que les mots à disposition, je les place ici ou là, pour dire toujours, pour dire l'impossible.
Je sais tout de ton combat de mère, de la louve que tu es, que tu n'as jamais cessé d'être. Ici j'écris pour ceux qui viendront lire et qui ne peuvent imaginer un seul instant ce que tu as bousculé de montagnes pour faire vibrer la vie, même quand elle n'était plus qu'un embryon de vie, comme au commencement de chaque chose, tu as soufflé de toutes tes forces. Je voudrais dire ce que nous ne nous sommes pas dit lorsque tu es venue ici un soir du mois d'août. Tu venais chercher ton autre fils, Benjamin et sa compagne à la gare TGV, bébé Rose était avec eux. En poussant la porte, je n'ai pu que te serrer dans mes bras, je voulais t'étouffer, tu tremblais, tu n'as pas parlé, je n'ai pas parlé, à quoi bon ? nous sommes faites de la même matière, nous toucher est une évidence, le corps dit ce que les mots ne peuvent plus.

Je voudrais dire ici qu'il n'existe pas, qu'il ne peut y avoir de douleur plus terrible que celle que tu vis.
Tu viens de perdre ton fils aîné, parce que malgré tout ton acharnement et le sien, la grande faucheuse a fauché un grand coup, fatal. Oui tu m'avais raconté l'inéluctabilité, tu m'avais narré les jours qui s'enchaînent, le cortège de malheurs, tu racontais, toi, la maman, ce que tu voyais de ton fils. Tu disais l'abominable gueule toujours ouverte de cette maladie, ses crocs, sa faim jamais assouvie, sa morsure chaque jour plus profonde et toi, tu n'as pas cessé de chasser les démons avec ton inébranlable foi de maman, ton amour si fort qu'on le voyait boxer la mort.
Je t'entends aussi me dire ta soudaine résignation, mais le courage toujours dans chacun de tes mots, du zen qui vibre sur chaque verbe employé, tu sais  déjà que l'issue est fatale, elle l'est oui, pour chacun d'entre nous, mais là, elle l'est plus amplement encore, la brume est là qui commence à entourer.
Ce que Julien veut, tu le feras, tu l'as fait, jusqu'au bout mon Aline, tu auras TOUT fait, TOUT ce qu'il est humainement possible de tenter, tu l'auras tenté, pouvoir redonner le sourire un instant à ton fils est devenu une affaire majeure, tu t'y es employée.
De ce parcours, Aline, mon Alinou, ma soeur âme, jamais, jamais, je ne t'ai entendu te plaindre, pas un mot sur ce que tu as vécu dans ta chair de mère, rien sur ton état d'immense fatigue, tes nuits n'en sont plus, tu es au chevet de Julien du matin jusqu'au soir,  la lassitude pourrait t'hébéter mais tu n'en as pas le temps, ce n'est pas le moment, tu vrilles tes forces vers Julien, tu lui insuffles ce qu'il est en mesure d'aspirer : l'Amour !

Il n'existe rien de pire au monde que ce que tu vis aujourd'hui et je sais aussi combien les jours qui vont suivre vont être de la douleur avant que demain puisse être seulement envisagé.

Alors jusqu'à ce demain, je t'écrirai.

5 commentaires:

Diane a dit…

Quel magnifique texte au travers duquel on sent le coeur qui saute sur une mine et qui explose en miettes; explosion silencieuse, devant un drame d'une telle ampleur je ne trouve pas les mots...
Aline, Aline...

Anonyme a dit…

<3

Anonyme a dit…

une mère est une femme exceptionnelle qui va puiser en son sang en son ventre en son cœur des forces cachées incroyables surhumaines qui font que parfois elle plie se courbe mais jamais ne rompt, même après l'horreur et la détresse hurlante

Aline est une mère exceptionnelle

tes mots sont forts Laurence à embuer nos yeux... bel amour que tu nous partages

Bises à Aline, bises à toi

pascal

rsgoldfast a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

Il n'y a pas de hasard !!!
Aujourd’hui, 19 octobre, je viens me promener chez toi et je découvre ce magnifique texte !!!
Il ne pouvait pas y avoir de meilleur journée !!!

Petite sœur de cœur en namour avec mon petit frère de cœur, je vous ai choisi, en fait non, c'est mon cœur qui vous a choisi comme fratrie !!!
Mes larmes ont coulé bien sûr à la lecture mais mon cœur est rempli de cet Amour qui nous nourrit.

Comme tu sais bien dire les choses avec ta voix chaude et affectueuse, et comme tu sais bien les écrire aussi.

Je t'aime d'un amour infini ma Lolo <3 <3 <3
Ton Alinou qui t'embrasse tendrement.