vendredi 5 décembre 2008

Journal Ralenti

Promis Diane, je vais te photographier mon gribouillis, si tu arrives à trouver un sens, ce sera de l'art pur, je ne sais pas dessiner et mon gribouillis est un vrai gribouillis.

Avertissement au(x) lecteur(s)(trices) :

Lorsque le psy a décidé de m'hospitaliser, je n'ai pas bronché. Lorsqu'il m'a demandé qui il devait prévenir, j'ai dit "mon père". Mon père est arrivé le soir même, je me souviens de lui avoir vu un chapeau à la Mitterrand sur la tête mais je ne me rappelle pas ce que j'ai pu lui dire, j'étais déjà sous tranxène et c'était une grande découverte, je roupillais.
Mon père est revenu tous les deux jours, très souvent, il m'a laissée dormir, je ne pouvais guère lui parler mais quand je parvenais à le faire, j'aimais cette présence. Ce fut un de nos moments rares et qui ne se produisirent plus jamais , mais je peux affirmer malgré la suite de l'histoire que mon père m'aimait.


5e page

"Je connais le couloir par coeur pour l'arpenter des centaines de fois. La pendule à l'aller a 5mn de retard, à moins qu'au retour, elle n'ait 5 mn d'avance.
Je déambule mais je suis aux aguets, comme on peut l'être quand on titube sous l'effet des narcotiques, j'aimerais parler à quelqu'un mais je n'ai pas de mots dans la bouche, j'ai la langue épaisse et chargée et je n'ai qu'une succession d'adjectifs, je ne peux pas faire une phrase correcte.
Je suis une patiente docile, j'avale tout sans discuter, de toute façon, discuter de quoi ?J 'ai même avalé la soupe que le cuisinier insouciant ou amoureux avait poivrée au delà du comestible, ça n'a pas eu d'effets aphrodisiaques mais pour ne blesser personne, j'ai bu sans sourciller.Je pense à cette histoire du Comte de Régis qui m'avait dit un jour cette anecdote et que j'ai gardée comme définition de l'aristocratie. Les parents du Comte avaient à leur service une cuisinière très âgée qui n'y voyait plus guère. Un jour, le Comte père surprit la cuisinière en train de verser malencontreusement de l'huile de lampe dans la soupe du soir, il réunit les membres de la famille, leur narra l'histoire et leur fit promettre d'avaler leur soupe sans émettre un seul commentaire, ce qu'ils firent.
La soupe de l'hosto, elle serait passée à la poubelle, si je ne l'avais pas terminée, mais en plus du Comte, y'a plein de mômes qui crèvent la dalle, j'ai bu, ça ne m'a pas tuée.
Je suis sage comme une image, j'encaisse tout.
Papa m'a dit que la petite aiguille à ailes de chauve-souris qui flirte avec mon bras s'appelle une épicrânienne.
Pauvre papa, je l'ai obligé à un achat terrible pour lui mais ça me fait tellement rigoler d'imaginer la tête qu'il a dû avoir dans le magasin.
Je lui ai dit de m'acheter des culottes, parce que je n'ai plus de culottes, j'ai dit culottes, pas slips. Papa était tout pâle, "des culottes ? mais je ne saurais pas !
- Mais si tu sauras, tu prends des culottes coton grand teint, prends les en grande taille, je voudrais qu'elles me remontent jusque sous la poitrine."
Quand il est parti, avant de piquer un petit somme, j'ai rêvé qu'il s'arrêtait dans une boutique de lingerie fine et qu'il me ramenait des trucs en dentelle.
Il est revenu avec des vraies culottes, trois ! Une blanche, une bleue, une rose, bordées par un joli picot de dentelle.
Il s'est vite débarrassé de son encombrant paquet, je n'ai plus l'âge de me faire acheter des culottes par mon père.
Oui, mais sans culotte, je perds ma dignité, ma culotte est mon dernier bastion, là où la main du psy n'ira pas fourrager, moi, c'est là-haut que ça se tient.
Je dis "merci", "bonjour", "bonsoir", je suis très polie, je coopère autant que je peux, je reste assise dans le fauteuil pendant qu'on fait mon lit, je dis que je peux le faire, on me répond "mais non, mais non", je dois être gravement atteinte alors.
Je me lave tous les jours avec ardeur, j'ai peur que l'angoisse ne s'infiltre sous ma peau et qu'elle y laisse des remugles malodorants, je ne veux pas non plus puer du corps.
Je lave mes culottes aussi et je les mets à sécher sur le radiateur du cabinet de toilette, le robinet fuit, lui aussi, goutte à goutte, penser à changer la perf !

Clément ne viendra pas, je ne trouve pas le lieu si chic, Annie non plus, je lui ai laissé les consignes, j'ai naturellement oublié de parler du citronnier, je dois battre ma coulpe.
J'ai fait connaissance avec le neurologue, un bel homme, taiseux qui ne répond pas à mes questions pourtant rares, je vais l'engueuler demain, je suis pas si con que je ne puisse comprendre ce qu'on m'injecte et pourquoi on me fait dormir 18 heures sur 24 !
Mes ongles de pieds sont toujours aussi moches.
Est ce que je suis une femme ?
Un alien ?
Une bombe à retardement ?
Un problème ? "

Le tableau est de Elly Strike "Hérodiade"

4 commentaires:

Diane a dit…

Ce récit me touche jusqu'a la moëlle, me fait rêver la nuit même.
Me rentre dans le corps et la tête et j'y tiens comme a la prunelle de mes yeux. Cela résonne en moi comme un grand "gong" tout le long de mes angoisses et de mes veines.

Continues Lolo. C'est tellement touchant.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas encore posté de commentaire, pourtant je lis avidement tes messages.
Une grande difficulté de commenter ce récit. Mes commentaires ne sauront exprimer ce que je ressens à la lecture de tes derniers messages.
Tu as l'air de me mettre en émoi. Tes mots viennent jusqu'à moi et me transpercent.
Comment ne rien ressentir face à ces mots ?
Je t'embrasse, continue à nous faire partager les pages de ce cahier.

Anonyme a dit…

Arff en relisant mon message, je m'aperçois que j'ai parlé de récit ... serait-ce une façon de nier la réalité ? De faire de tes messages un récit ?
Non, je pense surtout que tes messages possèdent l'ampleur d'un récit, d'un roman en somme ...

Je danse sur un fil a dit…

Non, Leiloo, tu n'as pas tort, c'est un peu un récit. Je me fais la même réflexion en me relisant. Ce journal, je l'ai continué un peu en sortant de l'hosto, trois jours très exactement et puis je l'ai remisé. Je me suis dit que je le relirai dans dix ans, j'ai mis presque 12 ans à le faire. Aujourd'hui, j'ai l'impression de découvrir des choses de moi. En même temps, je suis contente de me relire, je ressens tout ce que j'ai dit et vécu avec la lumière dans le dos plutôt qu'en pleine poire.
Je marque une pause ce week-end, les prochaines pages sont parfois un peu difficiles, enfin, je crois qu'elles le sont.
Vos commentaires me touchent beaucoup, beaucoup parce que Diane et toi êtes mes amies de coeur et que je n'aurais pas livré mon journal si je n'avais pas eu la certitude d'être lue sans préjugés. t