jeudi 4 décembre 2008

Journal ralenti

(3e page)

Je viens de muter dans le service de neurologie, les deux premiers jours j'étais dans le service médical d'accueil, la fameuse chambre 3.

Ici on perd le temps, on perd les heures.
Dans le couloir, il y a une pendule.
Quand j'émerge, je me lève pour aller voir où en sont les minutes, ça ne m'avance à rien, je me fous de l'heure comme du temps, même celui qu'il fait.
Je vis au rythme du thermomètre, celui du matin sur lequel je m'endors en le laissant sous le bras, réveillée par le cachou rose, endormie, réveillée par le bruit de la tartine beurrée qu'une petite jeune femme me présente complaisamment, endormie, réveillée, endormie, tacatac, tic !
J'ai le droit de jongler sous la douche sans assistance, j'ai cinq minutes pour le faire, ça fait combien cinq minutes ? je me brosse les dents, je me frotte le nez. Pour l'instant, je trouve que seule l'eau chaude a un pouvoir revigorant, peut être demander qu'on me distille de l'eau bénite bouillante ?
Les fenêtres de ma chambre sont fermées à clé, j'ai clairement énoncé au psy que pendant ma crise d'angoisse, j'avais pensé me défenestrer, au lieu de cela, en courant aux urgences, je n'ai rencontré aucune fenêtre, juste des poignées de porte que j'ai tournées, mécaniquement.
Il m'a dit que je n'étais pas suicidaire, c'est sans doute pour cela que les fenêtres sont hermétiquement closes. Derrière elles, il y a des barreaux de fer, au cas où j'aurais envie de me faire la belle ?
L'angoisse me laisse un répit mais je suis devenue de la chair molle, je me sens surtout rétrécie de la tête, une sculpture de Jivaros. Au réveil, j'ai envie de jurer comme un charretier, je cherche les plus jolis jurons, ils ne me reviennent pas, merde ? Merde !
Je voudrais bien lire ce qu'ils ont écrit dans mon dossier.
J'interroge l'infirmière, j'ai la voix glaireuse.
"Quel genre de maladies mettez vous dans vos lits ?"
Elle me répond : "des déments, des SEP (sclérose en plaque NDLR), des dépressifs..."
Je vois.
Que des hors la vie en somme. Ca fait boum dans mon occiput, tiens écrire, occis, pute !
Je ne suis pas zinzin moi, je suis ligotée par l'angoisse, serrée, comprimée, étouffée, gainée mais je ne suis pas aspirante à la démence, non !
Le téléphone ne sonne pas, ça me rassure. Pas de sonnerie, pas de tremblement de terre, pas de trépidations de la machine, je ne connais plus personne sans Harley Davidson.


Ici s'achève la 3e page, c'est décousu, je l'admets, mais je dors tellement que j'écris au réveil, rien ne se tient, mais je n'en suis finalement pas si sûre.
NB : l'écriture en italique ne date pas du "journal ralenti", ce sont des rajouts que je fais pour faciliter la compréhension du (de la) lecteur (trice), ou bien ce sont mes petites réflexions post rédaction.
La photo est une peinture de Betty Goodwin que mon amie, ma soeur, Diane m'a fait découvrir.
Betty Goodwin vient de mourir.

1 commentaire:

Diane a dit…

Je te lis comme on lirait un excellent excellent livre.
Il y a matière a raconter ta vie; a la romancer a ton goût pour y changer ce que tu voudrais mais bordel de merde fais une publication avec le talent que tu as a raconter.
Tu aurais le contrôle de changer ce que tu veux, la liberté de le faire mais écris merde écris...
Je veux lire un jour un livre pondu par toi.