lundi 19 janvier 2009

C'était il y a longtemps


Je partais avec Marie-Madeleine, en juillet ou août, parfois les deux. Nous passions ces mois d'été dans les Vosges, dans "son" pays. Marie-Madeleine était native du village des Granges de Plombières, à l'époque un hameau rudoyé par les rigueurs du climat.
Nous élisions domicile dans la ville de Plombières les Bains, elle louait chaque année un studio à Monsieur Renaud Libraire.
Monsieur Renaud père était un petit homme âgé et charmant, il avait un kiosque tout au bout de la ville, à côté du Casino. Il me laissait lire à ma guise et me donnait des bonbons à chaque passage dans son magasin. Pendant que je furetais dans sa minuscule boutique, il parlait avec ma grand-mère, un drôle de langage qui s'en allait trainant sur les syllabes, ainsi entendais-je des "maaaaaaaaaan" qui signifiaient tout aussi bien, la surprise que l'effroi.
Monsieur Renaud père avait été "gazé" pendant la guerre, je voulais savoir ce que pouvaient bien être ces gaz mais ma grand-mère disait que c'était trop affreux qu'il ne fallait pas que je le questionne sur cet épisode de sa vie.
Alors, j'ai désobéi, il fallait tout de même que je sache.
Un après-midi, j'ai filé chez Monsieur Renaud père et je lui ai demandé. Il m'a expliqué en me bourrant les poches de sucres d'orge parce que disait-il, je ne voudrais pas que tu aies peur. Le sucre a des pouvoirs, il repousse les barbares.
Marie-Madeleine, à l'époque où nous partions en vacances avait encore de la famille, des belles-sooeurs, des cousines, des cousins, nous n'étions pas curistes, nous passions la plupart de nos après-midis chez les uns ou les autres. Les cousines brodaient, penchées sur leurs tambours, près de la fenêtre, elles se crevaient les yeux à petits points, mais c'était leur gagne-pain.
En écrivant ces lignes, je prends soudainement conscience que ce que j'ai vécu se passait au siècle dernier.
Pauvres petites cousines, filles de condition plus que modeste, sans beaucoup d'enseignement éreintées tôt par les durs labeurs. Marie-Madeleine aussi avait travaillé très tôt, et de dure façon. Je l'ai déjà dit, je ne l'ai jamais entendu se plaindre, elle qui pourtant, avait les doigts perclus d'arthrite, elle souffrait, mais ne disait rien, son éducation était celle du silence , il ne fallait pas broncher, elle ne bronchait pas..
J'ai passé des étés extraordinaires, j'ai appris l'indépendance, année après année.
Je grandissais.
Ma grand-mère me donnait d'abord la liste de commissions, puis m'autorisait à aller seule au bout de la ville, vers le Casino justement.
En journée, on y voyait les belles voitures, mais le soir, je lui forçais la main pour que nous allions nous asseoir sur les bancs et regarder les"dames" passer.
Car les "dames" passaient bien, des élégantes du siècle dernier, des femmes qui s'en allaient jouer leurs francs mais qui s'habillaient pour l'occasion comme l'exigeait la tradition.
Très certainement, mon amour pour le vêtement est né là ;-) J'y ai vu les plus beaux tissus, la faille et l'organza, la soie et le crêpe, les dentelles et les guipures, les lamés et les sequins, le spectacle était riche et scintillant, j'aimais ces envolées de jupons, j'aimais le bruissement des étoffes, et la façon qu'avaient les "dames" de relever un peu la longueur de leur robe en montant l'escalier.

Je connais Plombières comme ma poche, chaque rue, chaque fontaine, les Thermes où, pendant des années, bien que non curiste, je suis allée boire un verre d'une eau un peu chaude qu'on me donnait en souriant, tout le monde me connaissait ou plutôt tout le monde connaissait ma grand-mère et on m'avait vue grandir comme une enfant du pays.
J'ai là, les souvenirs qui ont aussi fait de moi ce que je suis.
Des souvenirs de tartes aux myrtilles qui bleuissaient les dents, des "brimbelles",
des pâtés lorrains servis chauds le dimanche matin, lorsque Marie-Madeleine voyait les gens sortir de l'église, elle m'envoyait vite à la pâtisserie, chercher la merveille qu'elle avait commandée deux jours avant.
Qui n'a jamais goûté le pâté lorrain ignore encore un plaisir terrestre.
Et la mirabelle sous toutes ses formes.
Mais mes souvenirs ne sont pas que culinaires, ils sont senteurs, promenades et grandes conversations, enflammées, historiques, drôles et tendres aussi, car si Marie-Madeleine ne savait pas parler d'amour, elle le donnait pourtant à foison.


Le net fait des miracles, j'ai retrouvé l'endroit presque exact où nous séjournions, c'est là :



A suivre...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme toujours tu racontes merveilleusement(et pourtant je te lis) et à la fois je "t'entends" fredonner cette enfance qui coule dans tes mots comme l'eau des fontaines des thermes.

Ce qui est drôle, c'est que Doudou chéri a passé toutes ses vacances d'été lui aussi dans les Vosges à Ramonchamps, un p'tit village près de Remirmont dont sa famille maternelle est originaire. Il m'a raconté la cueillette des brimbelles(et nous l'avons faite aussi), la course après les vaches, ses vacances heureuses...
Et ces fameux pâtés Lorrains... Et bien sûr il m'y a emmenée plusieurs fois, nous avons goûté de fabuleuses tartes aux brimbelles et de merveilleux pâtés Lorrain, et nous avons fait de magnifiques balades dans cette charmante région.

J'attend avec impatience la suite ;-))

Anonyme a dit…

J'aime toujours autant tes récits, ma Lolo.
Tu insuffles de la vie aux mots.

Je danse sur un fil a dit…

Tu m'avais dit que ton Doudou avait du sang vosgien :-) Remiremont, j'y allais aussi avec ma grand-mère quand il était question de m'acheter des chemises et des culottes, et des culottes comme il faut, je vous prie, coton grand teint et picot de dentelle,nous allions sous les arcades, parfois même nous poussions jusqu'à Epinal. Ma grand-mère quand elle laissait tomber quelque chose disait "Eeeeeeeeeee...pinal dans les Vosges", je le dis encore parfois :-)
On n'oublie rien de son enfance, je crois et en vieillissant, elle nous devient infiniment précieuse, surtout quand on a eu la chance, comme moi, après ce qui aurait pu tourner en grand malheur, d'avoir des femmes extraordinaires dans ma vie.
Assez curieusement, c'est de ma tante que je voudrais parler tant j'ai à dire sur ce si bel amour qu'elle me porta, et assez curieusement, j'ai du mal à m'exprimer.

Merci les filles, merci Leiloo.

Anonyme a dit…

Je connais un peu la Lorraine, j'ai de la famille là bas.
Les souvenirs d'enfance ou d'adolescence sont les meilleurs et ils restent gravés à jamais en nous...
Amitiés

Anonyme a dit…

Ah encore une petite graine d'exception...

Tu as des souvenirs vraiment précis, sûrement parce qu'ils sont passés dans les vases communicants de l'amour :-) Et le fluide poursuit son chemin.

Baisers doux.

Rose

Diane a dit…

Que j'aime te lire et je connais le pâté lorrain depuis peu, depuis que le français qui s'est établit dans notre village me l'a fait connaître dernièrement (enfin a l'automne)
J'adore tout ce qu'il me fait découvrir en fait.
Et tout le monde du village l'aime aussi ce français venu chez-nous.

Comme tu écris "vivant-vibrant"
C'est toujours Jaco qui me dit qu'il s'ennuie énormément de tes écrits.

Je danse sur un fil a dit…

Tu sais quoi Diane, tu lui donnes l'adresse de mon blog à Jaco mais rien qu'à lui hein ?