lundi 8 décembre 2008

Journal Ralenti

8e page

"J'entends pleurer dans la chambre à côté"
Après quoi, cette page a été barrée de zigzags rageurs (je photographierai en fin de livraison)

C'est tout pour la 8e page mais je vais vous dire ce qui s'est passé et que je n'ai pas relaté dans mon journal. J'en parle très très peu par la suite.
Dans la chambre à côté, il y avait une jeune femme, ainsi que vous le lirez plus tard, personne parmi le personnel soignant et les médecins n'avaient voulu répondre à ma très illégitime curiosité (déontologie du secret médical), alors j'ai poussé la porte pour savoir à qui appartenaient ces larmes.
Je vais donc lui rendre comme un petit hommage ici.
Je n'ai jamais su son prénom.
Quand je l'ai découverte dans sa chambre, elle était habillée, là où je voguais dans une chemise de nuit en pilou, les pieds dans mes socquettes. La scène est intacte dans mes souvenirs. Elle avait une jupe de cuir noir, et un pull en angora rose tiède. Elle était assise sur son lit et elle n'a pas vraiment semblé surprise de me voir. Du coup, je me suis assise à côté d'elle et je lui ai dit que j'étais sa voisine de chambre.
Elle ne m'a rien dit ce jour là, mais les jours suivants, nous avons pris l'habitude de déambuler ensemble et les interdictions médicales se levant l'une après l'autre, nous allions à la cafétéria boire un café ensemble aussi. C'est au cours de cette petite boisson commune qu'elle m'a expliqué qu'elle avait raté son suicide !
Elle avait rangé tout son appartement, n'avait laissé aucun mot d'explication afin de ne pas rajouter de la douleur, elle pensait qu'il y en aurait de toute façon bien assez comme ça, elle s'était parée de ses plus beaux atours et avait gagné dans sa petite voiture, une berge de la Saône, abandonnée par l'histoire et les promeneurs.
Elle avait laissé ses papiers de voiture, ses clés, en évidence sur le tableau de bord et s'en était allée tout doucement dans l'eau glaciale, il fait froid en Bourgogne en février.
Elle ne savait pas nager et comptait donc sur une mort assez rapide et sans se laisser de salut.
Malheureusement disait-elle, la malchance qui était son lot, disait-elle également, avait voulu qu'un homme passât par là à ce moment précis et, la voyant dans l'eau alors qu'elle ne se débattait nullement, avait immédiatement compris la situation et l'avait ramenée à moitié gelée sur la berge.
Cette mort ratée qu'on lui avait volée la mettait dans un état de colère froide. Elle n'a jamais souri vraiment, elle ne m'a posé aucune question, ça tombait bien, c'est moi qui avais envie de les poser pour nous deux.
Quand j'ai quitté l'hôpital, j'ai voulu lui dire au revoir, elle m'a juste adressé un signe de la main, j'ai eu le temps de lui demander si ça allait aller, la question la plus saugrenue qui soit, elle m'a répondu : "oui".
Je n'ai jamais su ce qu'elle était devenue mais tout mon intérieur me dit qu'elle a recommencé et qu'elle a réussi. Elle n'aimait pas la vie, ne s'y sentait aucunement douée mais avait suffisamment d'égards pour son prochain pour ne pas lui imposer son ombre froide.
Cette rencontre m'a longtemps poursuivie, je ne peux pas dire que je l'aimais bien, je ne la sentais pas vivante, pas carnée, pas inscrite dans une histoire, elle coulait comme le sable qu'on ne peut retenir.
La seule façon, ai-je pensé, qu'elle avait trouvée de briller un peu était dans la mise en scène de sa mort et même là, le rideau tombait avant le dernier acte.
J'espère seulement pour elle que la mort qu'elle appelait de tous ses sens ne l'aura pas trop fait attendre, ça peut paraître curieux de dire cela mais c'est en la rencontrant que j'ai réalisé à quel point certains d'entre nous ont la, les, facultés d'être dans le courant, de redresser la tête, même s'il leur faut donner de sérieux coups de talon parfois, et d'autres sont nés presque par hasard, démunis, inertes et sans envies, ceux-là, je les plains, parce que cela doit être terrible de vivre quand tout est inutile.

2 commentaires:

Diane a dit…

Oufffff froid dans le dos. Il faut tellement vouloir mourir pour se laisser couler de la sorte. L'eau avale tellement; je le sais je me suis noyé une fois; c'est sans mal, je n'avais pas mal, j'étais au fond quand on m'a sortie de là, purement accidentel.
Je me vois sur le dos dans le fond, je vois vaguement le ciel mais peut-être que je ne vois rien et que j'imagine. Je sens l'eau entrer en moi et j'ai perdu conscience.

L'eau avale et c'est terrorisant.

Tristesse...

Je danse sur un fil a dit…

Peu de temps après, j'ai lu, par hasard Virginia Woolf et je crois que j'ai compris ce que désirait tant cette petite voisine de chambre.