jeudi 13 novembre 2008

L'oeuf en bois


La nuit dernière, j'ai fait un rêve !
Je ne me souviens que très rarement de mes rêves, ceci pour expliquer cela.
Ma grand-mère s'avançait vers moi avec un sourire accroché au visage, son grand tablier bleu sur sa petite robe noire à minuscules fleurs mauves, son tout petit chignon blanc tressé et ses rides de pomme reinette. Dans sa main, elle avait L'oeuf en bois !
Elle me le donnait en disant "prends le, il est pour toi".
Petite fille, j'ai regardé ma grand-mère repriser les chaussettes avec du fil de coton. Il fallait repriser ni trop serré, ni trop lâche, elle faisait des boucles à l'ouvrage, parce que, disait-elle, au lavage, le coton rétrécirait, les boucles disparaîtraient et la chaussette ainsi reprisée pourrait durer un peu plus que ce que durent les roses.
C'était un temps où rien ne se jetait et surtout pas les chaussettes trouées par des orteils onglus.
Ainsi faisait-elle patiemment et ainsi regardais-je, attentive au mouvement de l'aiguille et de ce mystérieux oeuf en bois qu'elle glissait dans la chaussette et qui, une fois, la chaussette réparée, rejoignait la corbeille à couture sans plus de façon.
Cet oeuf était sûrement très quelconque et chaque foyer en possédait un, voire plusieurs, j'en ai connu de beaux, veinés, colorés, j'aimais celui de ma grand-mère, d'une grande simplicité . Un oeuf blond et lisse que j'ai subtilisé bien des fois, toujours ma grand-mère me demandait de vider mes poches et récupérait son oeuf avec un petit sourire en coin.
Je reprise plutôt mal, je n'ai pas d'oeuf en bois.
Je ne sais même pas ce qu'il est devenu après la mort de ma grand-mère, j'aurais aimé l'avoir en souvenir, je ne l'ai jamais retrouvé, curieux !
Avec cette extraordinaire grand-mère qui fut la mienne, j'ai appris la couture. j'ai dû faire des ourlets et braver sa vindicte, mes aiguillées étaient qualifiées de "paresseuse", à cause de la longueur du fil et mon index était furieusement rétif au dé. J'ai même cousu des ourlets à l'envers.
Il fallait d'abord "faire un rentré", puis faufiler et enfin ourler.
Un simple ourlet devait être quasi parfait et pour quelques points de guingois, elle n'hésitait pas, tout était à recommencer.
L'ourlet maîtrisé, j'ai appris le surjet, la boutonnière et plus tard encore, lorsqu'elle a estimé que mes progrès étaient suffisamment sérieux, je suis rentrée "en broderie".
Point de tige, point de piqûre, point de noeud, point de bourdon, point de chaînette, point de feuille, point passé, point d'araignée, point d'ombre, point de croix que je devais m'appliquer à reproduire sur des petits morceaux de lin bis.
C'est long à posséder une carrière de brodeuse !
Ma grand-mère, dans la grande tradition vosgienne ne tolérait aucune erreur et n'aimait pas davantage qu'on bâclât le travail.
Ainsi me prêtais-je à l'exercice et ainsi fis-je moi aussi mon "marquoir", passage obligé avant que d'accéder au saint des saints : le drap !

Des mètres et des mètres de lin blanc coupés par un Maître drapier vosgien.
Je dus ourler le drap, puis tirer les fils pour en faire des jours dits "de Venise", une abomination totale mais dont je vins à bout après des semaines, que dis-je, des mois passés à m'escrimer.
Et enfin, enfin vint l'heure du monogramme ton sur ton en coton blanc, passé plat, quelque chose dans ce goût :J'ai toujours le drap, il est la pièce maîtresse de mon trousseau de jeune fille ! Il ne rentre pas dans une machine à laver des temps modernes, il gratte les postérieurs mais garde les corps au frais l'été.
J'aime toujours broder quand l'envie me prend, j'aime ce travail appliqué qui nécessite de la concentration mais qui permet aussi de se vider la tête, j'aime le travail bien fait et, éduquée par ma grand-mère, je détecte très facilement les petites imperfections et anomalies des broderies que je trouve parfois sur les brocantes. Elles me touchent car me vient aussitôt l'image d'une petite fille, une petite soeur qui, peut être un jour, a appris la couture et la broderie avec sa grand-mère et je les imagine, leurs deux têtes penchées vers d'interminables conversations sur les petits points comptés et la vie comme elle va.

Tableau de Franz Xaver Simm

4 commentaires:

Diane a dit…

Et tu vois ce rêve t'a fait faire tout un voyage dans le temps.
C'est joli et c'était bien de ne rien rien rien jeter dans c'temps là.
Maintenant on chercherait le temps pour repriser et les bas sont si fins qu'ils ne se reprisent pas.

mais la petite broderie, les draps aux initiales de la famille j'ai connu par ma mère.
Tes écrits d'aujourd'hui nous font voyager beaucoup beaucoup dans le réel et l'imaginaire.

Anonyme a dit…

Waw !
Ce rêve t'a permis d'écrire un superbe texte.
Nous regardons pas mal vers nos grands-mères ces temps-ci. ;)

Je danse sur un fil a dit…

C'est la faute à nos babous Leiloo !
Je pense que nos grands-mères nous ont marquées définitivement et de la plus jolie façon, la mienne était un royaume, le mien !
Merci ma Dianou pour ton joli commentaire.

Anonyme a dit…

J'aime bien tes lignes croisées, bellamia, aux effluves ami-données.

L'univers des doigts de fée me parle puisque masoeurbelle est une brodeuse (en xx et points traditionnels ; mon préféré "l'araignée" arf) et le clan dont elle fait partie -dont je suis la groupie hihi- un petit groupe d'échanges haut en couleurs au sens propre et au sens figuré.

Le blog de masoeurbelle est dans mes "à découvrir" : Brodineries et Charivaries. Ses créations sont originales et par centaine. Son blog vient d'ouvrir mais petit à petit elle va présenter sa collection.

Ton drap est un rêve éveillé ; je suis tombée en amour devant les Jours, la première fois qu'une brodeuse du gang ma fait découvrir cette technique.

Mes doigts ne sont pas de fées ; pourtant ma grand-mère Rose était une fine couturière, gouvernante d'une Lady, pour qui jaillissaient de ses mains de petites perles brodées, cousues, lissées, drapées.

Et je rejoins les mollets de soie qui font battre mon coeur dans des draps qui ne sont pas de lin.

Tout près, de petites truffes qui te ronronnent une berceuse.

Sourire velouté :-)

Rose