lundi 18 août 2008

Le Times

Le mois d'août est traditionnellement plus calme dans les hôpitaux. De là à penser qu'on tape la belote sur les paillasses ou dans les couloirs, non ! Mais l'activité est plus ralentie et en ce qui me concerne, cela me permet d'écluser une grande partie des dossiers qui trônent sur mon bureau.
Parfois même, je me surprends à rêver, c'est vous dire !
Ce matin, foin de rêves, j'arrive guillerette au boulot et paf, à peine avais-je posé une demi-fesse sur mon siège que le téléphone sonne. Et vas-y donc que je me fais invectiver. Tssst, il est 8h du mat, je n'aime pas qu'on me hurle ainsi dans la bonne oreille, je le dis. Le calme ne revenant pas, j'annonce que je vais raccrocher si aucun autre dialogue n'est possible, en fait de dialogue... ça marche.
L'histoire est celle d'un patient que j'ai vu jeudi dernier pour le sommer de se mettre en règle et là, ce n'est pas une mince épreuve parce que ledit patient est ici en situation irrégulière depuis deux ans. Bon, jusque là, j'ai l'habitude. Là où ça coince, c'est que pour régulariser son dossier, il a eu un rendez-vous avec une assistante sociale qui lui demande de se présenter avec son passeport.
Le passeport est au bled depuis deux ans !
Je lui ai dit jeudi de faire le nécessaire pour qu'on lui envoie, mais il ne veut pas, pourquoi ???
Parce qu'il préfère vivre ainsi et là je le cite : "ici on me donne tout ce que je veux, je paye pas!" le rouge m'est monté aux joues jeudi, je l'avoue. Il est monté un cran plus haut lorsqu'il m'a dit qu'il travaillait au "black". Alors moi, je suis là, debout à essayer de trouver une solution pour qu'il puisse :
- continuer à recevoir des soins,
- et obtenir que son dossier soit correct pour le bénéfice de l'aide médicale état.
Il m'a sorti tout un tas d'arguments qui feraient monter un bûcher à une cohorte de militants FN, je l'ai engueulé, je l'avoue, je l'ai engueulé et j'y suis même allé d'un couplet sur le civisme et la citoyenneté, c'est à dire que j'ai prêché au milieu du Sahara. (parce que je doute fortement qu'il ait compris le sens de mon discours)

L'oiseau de ce matin, c'est le cousin qui n'a rien compris à l'histoire rapportée par mon patient puisqu'il n'assistait pas à l'entretien, lui, il se contente de vociférer, alors quand il s'est calmé et que j'ai eu droit à la parole, j'aime autant vous dire qu'il a su à quoi s'en tenir.
Je ne crains pas les menaces, les propos injurieux choquent ma bonne oreille mais je peux composer avec, mais de grâce qu'on arrête de me prendre pour une imbécile. Je crains le mensonge et les petits arrangements qui continuent de mettre les gens hors la loi, et toutes les fois où je suis confrontée à ce problème je le signifie sans ambages.
Ils sont nombreux les "en situation irrégulière", mais la vocation d'un hôpital c'est de pouvoir donner l'accès aux soins à tous sans aucune discrimination. En contrepartie, j'aime qu'on ne me fasse pas perdre mon temps avec des échafaudages entiers de balivernes, je ne supporte que la franchise, c'est mon seul outil de travail pour déblayer le terrain.
A 8h30, tout était bouclé, j'avais même droit à des excuses, mais j'avoue que j'en ai marre aussi.
Dans mon travail, j'ai à faire avec ce genre de situations, rien d'inextricable, au contraire, tout est assez simple, les frais sont toujours couverts par l'état pour toux ceux qui sont en situation irrégulière, en revanche bagarrer pour obtenir des délais de paiement, des aides, pour des personnes âgées ou pas dont les revenus sont malingres mais encore trop élevés pour prétendre à l'aide de la CMU, tout cela m'irrite le poil.
D'un côté, tout est possible, de l'autre, tout ne le devient pas et dans les deux cas, il s'agit de recevoir des soins, je ne connais personne à part ma collègue "la Joconde" qui aime à être
malade.
Vous saviez que la santé allait mal, elle va décliner de plus en plus.
Assister ceux qui doivent l'être, oui, oui, oui, mais....
pas au détriment de ceux qui ne peuvent pas l'être et qui sont en train de tomber de plus en plus malades, victimes de cet état de faits. Les soins sont chers, quand on est à revenu modeste, endetté et qu'il faut en plus payer des sommes astronomiques sans avoir droit à une aide, c'est catastrophique.

Voilà le Times de ce soir, je ne fais pas dans la délation, je ne le ferai jamais, malgré certaines directives ministérielles qui nous invitent (c'est écrit noir sur blanc) à alerter les instances dès lors qu'une "situation irrégulière" serait hospitalisée. Ca non, je ne suis pas flic. Mais de grâce, un peu de vigilance, de respect pour la population malade qui n'en peut plus et courbe le dos sous le poids des sommes à payer.
l'équilibre est précaire, trop précaire, j'entends dans mon bureau et partout ailleurs, les haines se cristalliser, j'entends cet écho "trop, c'est trop " et moi aussi j'ai envie de dire "trop, c'est trop".
Il y a un peu plus d'un mois, avant les vacances, une jeune femme algérienne est venue accoucher clandestinement, tous ses frais ont été pris en charge. Paradoxalement, une autre jeune femme qui accouchait à peu près aux mêmes dates et pour laquelle il manquait une pièce à son dossier s'est vue réclamer l'intégralité de la facture, merde !
Ce n'est ni juste ni bon et moi, je suis bêtement humaine.
Bon, c'est long hein ?

Mais c'est juste que "trop, c'est trop !"

L'embellie de cette journée, qui est une belle journée (m'en faut quand même plus), ce sont les deux jolies visions de ce soir.
Celle du Palais des Papes depuis les hauteurs de Villeneuve les Avignon, belle lumière, vivement l'APN ! et la petite promenade qui m'a conduite dans l'allée d'un château très habité du côté de Roquemaure, la grille était rouillée d'ennui mais elle était ouverte, une invitation en somme ! le château est un rien décrépit mais il reste beau et surtout, le jardin est à lui seul un vrai rêve.
J'y retournerai avec l'APN, vous verrez ça !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui, j'espère que nous ne finirons pas comme aux Etats-Unis, mais nous sommes sur la mauvaise pente ... Quant à ceux qui profitent du système ,je comprends que ça puisse te faire rager.
Tu sais que dans les écoles aussi, on nous demande de donner la liste des élèves en situation irrégulière ? :(