mercredi 10 décembre 2008

Journal Ralenti

10e page

Je suis une abeille ouvrière !
Plus de tranxène, je commence à me sentir et à me ressentir. On m'a annoncé "lexomil" 1/4, 1/4, 1/2, autant dire de la roupie de sansonnet !
J'aime bien cette expression "roupie de sansonnet".
J'ai fait le ménage dans le cabinet de toilettes, j'ai couru à la douche, me suis fait un shampoing majeur et je me suis HABILLEE.
Un jogging assez laid mais qui convient parfaitement à l'endroit.
Papa m'a laissé des sous pour que j'aille à la boutique de l'hosto m'acheter des choses qui me feraient plaisir, traduire par, revues, friandises et autres folies.
Je sens que mon cerveau reprend du service, c'est peut être un effet placebo, mais je me sens moins chiffe.
Je ne suis pourtant guère vaillante, j'ai les guibolles qui flanchent un peu, je crois que j'ai dû maigrir aussi, j'ai une peau de vieille et un teint qui vire à l'olivâtre, si ça se trouve, je couve une jaunisse.
Je vois d'ici le tableau, je rentre à l'hôpital pour crise d'angoisse et je ressors avec une hépatite, ça fait un peu négligé.
Je n'avais jamais remarqué qu'à la fenêtre prison, il y a une ouverture, une meurtrière serait plus juste, je me demande à quoi elle sert, à nourrir les pinsons ?

Plus bas sans petits points

J'ai dégringolé un étage pour aller fumer ma clope allegro, le coin était déjà occupé par un drôle de totor, un petit gars du bled, compagnon d'infortune, avec un nez aquilin d'une perfection à couper le souffle. Il avait un curieux bouchon de parfum fiché sur le front et quand j'ai voulu l'interroger sur la nature de cette affection, il m'a fait signe qu'il ne comprenait pas.
Du coup, nous avons fumé dans un silence complice.
Ce coin là de l'hôpital est sinistre, c'est le vieux bâtiment autrefois appelé "St Lazare", les chambres ont été refaites mais le lieu demeure gris et glauque.
Je trouve que ça va mieux.
De toute façon, ça ne peut aller que mieux. Ici, on ne fait que ouater la douleur et les angoisses, on te camisole tout ça sous des anti machins et des pilules trucs.
Je croyais qu'on allait parler, j'ai parlé toute seule. J'ai déjà l'habitude de le faire, c'est la phrase de Colette qui disait qu'elle soliloquait, une habitude qui vient aux reclus. Ici, je suis un peu recluse sauf que j'ai la liberté de descendre un étage ou plus.
J'ai eu petit Bilou au téléphone, logorrhée de mots de sa part, j'ai capté qu'il allait bien et aussi qu'il attendait que je revienne, pauvre Bilou, tu l'as échappé belle, j'aurais pu finir à crapahuter quelque part dans la Loire.
Je ne sais pas si je vais voir le neuro aujourd'hui, mais s'il vient, je te le toise comme la Reine de Saba, non, je lui tourne le dos, qu'il passe son chemin, nous n'avons rien à nous dire, ça ira plus vite.
Après le repas, j'irais à la boutique, j'irais boire mon premier vrai café, pas cette pisse d'âne qu'ils nous servent ici.
Je ne suis pas difficile pourtant mais le café quand même !


Je suis allée à la boutique, j'ai bu ce café, toute seule comme une grande. Nicole m'a soignée, j'ai eu droit à une vraie petite écume métisse, de la potion magique !
Après les vivants sont arrivés, et de l'abeille du matin, j'ai viré bourdon crépusculaire. Mais qu'est ce qui m'arrive ? Je ne supporte pas la compagnie des vivants, au moins quand ils sont en meute. Dans les conversations alentour, l'un disait qu'il s'était coupé le doigt, j'ai eu envie de lui dire qu'il aurait mieux fait de se couper la langue, l'autre s'avachissait sur la perspective des séjours ski, un bruit là-dedans ! et des incongruités, rien que des incongruités.
A part regagner ma fillomière, je ne voyais pas grand chose d'autre à faire. Au moins dans ma chambre, je ne suis pas obligée de me farcir des discours stériles et sans appâts.
Quand est ce que je sors ? Ca fait longtemps que je suis là.
Je suis silencieuse mais je sais que je sais parler.
La petite pleure encore à côté, ils ne vont pas tarder à lui balancer la flottaison de comprimés, personne n'écoute la douleur ici, même les pleurs sont inaudibles, ça me ravage, je ne sais pas quoi faire.
Je me demande si je ne deviens pas amère. Parce que si c'est de l'amertume, je ferais comme mémé faisait avec les endives, elle les cuisait avec un quignon de pain rassis, voilà, je me ferais cuire avec du pain rassis ou alors, je ne suis pas amère, je suis juste rassise.
Dans "Midnight Express", la scène qui m'a le plus cramponnée à mon siège, c'est celle où les prisonniers n'en finissent pas de tourner autour d'une espèce de colonne. Des fous ! et moi à l'instant où j'écris ces mots, je pense que je ne suis pas si éloignée que cela de la folie, je n'ai pas de colonne autour de laquelle tourner et puis j'aurais le tournis, mais je comprends très bien pourquoi on peut le faire.
Amère, rassise et folle, tiercé dans l'ordre, ça va rapporter bonbon !
Je vais dormir un peu.
Je suis fatiguée, j'ai vraiment honte de dire que je suis fatiguée mais je suis fatiguée, fatiguée d'être moche ?

Je viens de réaliser que la plupart des pages que j'ai écrites dans le journal, s'achevaient toutes ou presque par des questions...

Le tableau est de Berthe Morisot

NB : je suis allée rechercher l'extrait dont je cite un très très court passage dans mon journal.
Il est tiré du livre "La Vagabonde" de Colette lImmense. Si vous ne connaissez pas, vous ignorez encore ce que vous perdez et vous aurez à coeur de ne pas passer à côté, enfin, je vous le souhaite, lire Colette est toujours instructif :-)

"
Seule… et depuis longtemps. Car je cède maintenant a l’habitude du soliloque, de la conversation avec la chienne, le feu, avec mon image…C’est une manie qui vient aux reclus, aux vieux prisonniers ; mais, moi, je suis libre…Et si je me parle en dedans, c’est par besoin littéraire de rythmer, de rédiger ma pensée."

3 commentaires:

Diane a dit…

Quel style d'écriture tout le long.
Ceci par exemple: " elle les cuisait avec un quignon de pain rassis, voilà, je me ferais cuire avec du pain rassis ou alors, je ne suis pas amère, je suis juste rassise."

C'est unique et du Lolo tout craché.

Méga bisous je suis vannée ce soir et j'écris peu mais je lis toujours aussi avidement.

Anonyme a dit…

Je suis venue à pas feutrés et j'ai lu chacun de tes billets.

Je me suis bêtement demandé si même après ce genre "d'expérience" on en sortait quelque chose de positif, de constructif, un tremplin...

Le silence sinon, que le silence, en regardant la surface de l'étang devenir trouble, et lisse, et trouble...

Douceurs du soir.

Rose

Je danse sur un fil a dit…

Je ne peux parler que de mon cas, ce qui tombe d'autant mieux que c'est celui que je pratique quotidiennement et auquel donc,je suis habitué ;-)
J'en ai tiré des enseignements oui,mais pas tout de suite.
C'est justement "l'après" qui est le plus important.
J'étais rentrée pour crises d'angoisse, j'ai eu à subir quelques déferlantes et je n'étais plus entourée, je n'avais plus de blouse blanche à mes côtés. Je crois que je possède une nature fondamentalement optimiste, mais ça se travaille.
Je me suis retrouvée voguant plutôt mal que bien pendant quelques mois après, mais dans ma tête, quelque chose s'allumait toujours dans les pires moments, quelque chose qui disait : "si tu tombes, tu te relèves illico presto". Je me suis relevée et c'est presque aussi simple que cela. Je me forçais chaque jour à faire des choses que je n'aimais pas et quand j'y étais parvenue,je me sentais victorieuse. C'est venu comme cela, si je suis capable de petites victoires, je peux être capable de plus grosses. Je n'ai pas une âme de conquistador et mes victoires n'en seraient sans doute pas pour les entrepreneurs, elles l'étaient pour moi.
Quelques mois après et c'est vraiment une autre tranche de vie, je me suis retrouvée "à la rue",sans argent, sans rien et avec Clément 8 ans et Ninette la petite scottish terrier. La situation était radicalement différente et hautement plus délicate. Dans l'urgence,je suis assez fortiche, je mets mon orgueil de côté et je frappe aux portes aussi longtemps et aussi fort que nécessaire, au moins jusqu'à ce que quelqu'un me réponde.
J'ai parlé de ce parcours à un psy formidable qui m'a suivie pendant quelques mois et qui a surtout contribué à me dessiller les yeux. Ce fut douloureux particulièrement quand il m'a mis la vérité toute nue sur la table, pas moyen d'avoir une perf de tranxène pour dormir...
J'ai réalisé, avec son aide, que rien de ce que j'avais vécu n'était dû au hasard et surtout pas ce temps de l'hospitalisation, je n'avais pas compris le message de mon.. comment l'appeler ? esprit ? pourtant,j'avais travaillé et le fruit de ce travail qui continue encore aujourd'hui, c'est de faire des choix, de trancher des liens, et de décider de sa propre vie, et décider de sa propre vie, c'est parfois aller dans le sens contraire de celui qu'on nous a dicté.
J'en suis là, j'ai décidé que je serais heureuse parce que j'étais comme les autres, j'y avais droit aussi et que pour obtenir ma part de gâteau, il fallait aussi que j'y travaille et que je n'hésite pas à mettre la main à la pâte.

Parfois, je pense à ce que j'ai vécu dans cet hôpital, j'ai la possibilité d'en sourire, je crois honnêtement et sans fatuité que si je n'avais pas eu la faculté d'une certaine forme d'humour qui me sauve lors des événements difficiles, si je n'avais pas aussi reçu l'éducation de ma tante, si je n'avais pas combattu les dogmes qui sont parfois autant de couperets, je serais tombée définitivement.
Mais ce qui s'illumine en plein centre, c'est cet irrémédiable goût de la vie, aussi amère soit-elle parfois, je l'aime et j'ai toujours envie d'en manger encore un morceau.
Alors oui, ce fut un vrai tremplin, maintenant, je sais que c'est ce qui m'a permis d'évacuer des seaux d'ordures que je charriais bêtement depuis bien trop longtemps.

Je vous embrasse toutes deux Diane et toi.