mardi 9 décembre 2008

Journal Ralenti


9e page

A l'heure des vêpres hier, j'ai tenté de refuser St Tranxène.
L'infirmière se conforme à la prescription et une prescription c'est sacré comme le calice, j'en déduis que c'est dimanche et que le chef de service à l'heure où je ragogne est occupé à déguster son Royal Ceylan.
Pour atténuer ma déception, car j'ai affaire à une vraie troupe humanitaire, la surveillante est venue me voir. La surveillante de neuro c'est un tambour-major, je me suis ratatinée instinctivement, je me demande si elle frappe les récalcitrants.
Elle avait un dépliant à la main, papier glacé, ça sent le trois étoiles luxe, que nenni, elle me parle de convalescence dans une maison faite pour ça à Monbrison.
Monbrison ? mais c'est où cette bête ?
Dans la Loire qu'elle dit, et voilà, on en revient à la boucle de la Loire et la Loire, chef-lieu St Etienne, Dominique Rocheteau, allez les verts, voilà toute ma culture.
Mais qu'est ce que je vais foutre en convalescence ? le dépliant est à gerber. Des allées ratissées au cordeau, des rosiers taillés courts et y'a même la photo d'une pensionnaire qui tente une ébauche de sourire, putain, la gueule !
Et le pire, c'est que ça s'appelle "La Musardière", allez, allez, pas de ça entre nous.
J'ai gueulé comme un putois, je ne veux ni de Musardière, ni de convalescence, ni de piège de cet acabit. On m'aurait proposé "La Pétaudière" à Montcuq, j'aurais pu examiner la suggestion, mais je ne veux pas de chaise longue, je ne veux plus de tranxène, je ne veux plus rien du tout, je veux qu'on arrête de m'emmerder avec les nécessités.
Papa a essayé de me faire entendre raison, je l'ai engueulé pareillement.
Je crois bien que je viens de chuter de mon piédestal de malade gentille et tout et tout. Le père est parti tenir un conciliabule dans l'office des infirmières mais alors là, qu'on essaye de m'expédier d'office dans ce style de roulotte, jamais !
.......

J'ai eu la visite du grand chef, donc on n'est pas dimanche. Le neuro chef soi-même qui a daigné m'accorder un regard. Petite discussion de principe sur la convalescence qui m'est absolument indispensable, ah ouais ? indispensable pour quoi ? Parce qu'il faut que je me repose ! ah ouais ? mais vous n'y êtes pas cher ami, vous n'y êtes pas du tout, vous ne me connaissez pas, vous ne voyez de moi qu'une fiche écrite, mon poids, ma taille, vous ne m'avez même pas demandé comment j'allais, si j'avais bien dormi. Ca vous ennuie les cas comme le mien ? ça fait de l'ombre à votre médecine qui sonde les petits neurones ? ça vous embête de savoir que je n'ai ni sclérose en plaques, ni Parkinson débutant, ni maladie à nom propre ? Mais qu'est ce que vous croyez ? que vous êtes un apprenti-sorcier ? mais pauvre âne, vous êtes un tout petit neurologue de mes deux dans un hôpital de province, vous n'êtes pas professeur. Dans vos lits, il y a de pauvres grabataires qui ululent à la nuit, je le sais, je les entends, je les vois quand je sprinte dans le couloir. Vous leur laissez les fesses à l'air, ils ont des escarres et tout le monde a un accès direct à leur trou du cul, c'est neurologique un trou du cul ? Pauvres gens parqués , barricadés dans leurs lits à montants, vous croyez qu'ils vont se sauver ? vos malades, neurologue de mes deux, ce sont des vieux décatis, qui bavent, qui ont perdu leurs esprits et à qui vous enlevez au nom de votre science médicale la dernière de leur dignité. Vous croyez que c'est humain de laisser ces pauvres hères comme ça le cul à l'air ? Et comment vous me la jouez la, avec votre blouse immaculée et votre stéthoscope autour du cou, vous savez vous en servir au moins ? il n'y a que les infirmières pour écouter mon coeur et moi pour en entendre le son, vous voulez savoir le baroud qu'il fait mon coeur ? Vous croyez quoi ? que parce que je suis tranxénisée et cachouchoutée de tous les côtés, que je ne vais pas m'opposer vigoureusement à toute tentative de faire de moi une apprentie déprimée. Je suis angoissée, pas pareil, et là vous venez de m'en remettre une couche. Et puisque vous me faites chier, je pars dans la minute, envoyez la décharge, je signe, je contresigne.
J'ai foutu le bazar, y'a pas à dire.

.......
Loriot vient de me quitter, averti par le grand manitou de mon coup de Calgon ? Toujours est-il qu'il a entraîné le père dans le couloir, ça m'a fait enrager qu'on parle de moi en mon absence, parce que outre le fait que j'ai forcément tort, je ne peux pas me défendre. Quand il est revenu, j'étais une espèce de harpie, ça va drôlement arranger ma photo face-profil.
Je lui ai dit que je n'irais pas musarder dans cette antichambre de cimetière et il est d'accord. ouf !
Et puisque j'en étais aux récriminations, j'ai demandé à ce qu'on arrête la perf de tranxène, j'en ai marre, j'en ai plus que marre, je suis une espèce de caramel mou et drôlement salé, j'en ai marre, je préfère sombrer dans l'angoisse que vivre comme un canard à qui on a coupé la tête et qui court encore un peu avant de s'effondrer, J'EN AI MARRE !
J'ai bien aimé que papa dise que sa fille avait un naturel déterminé devant Loriot, j'ai moins aimé que Loriot parti, il me dise que j'ai un caractère de cochon, en même temps, il dit vrai.
Je résume, une journée de labeur mais des victoires, Loriot a promis qu'on arrêtait le tranxène demain et je n'irais pas dans leur foutue maison de convalescence.
.....

Je crois que je me sens mal.
Si encore je vomissais, je pourrais dire que c'est la faute au rôti de porc avalé à midi mais je ne vomis pas, même pas moi.
Et si je faisais un rêve, je débuterais par :
???

Je ne sais même pas par quoi débuter un joli rêve. "Il était une fois ?"

Que le lecteur soit indulgent avec ma prose, qui, je le crains, est légèrement , oh très très légèrement ordurière, j'ai quand même rigolé en retapant, j'étais sérieusement en colère, je m'en souviens. La colère qui signait le début de la résurrection...
J'ai corrigé une faute de frappe, sur la version du journal j'avais bien écrit "cachouchoutée" et non "cachoutée", c'est important, ça n'a pas tout à fait le même sens et que le lecteur ne s'y trompe pas, il s'agissait bien d'humour gris.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne peux m'empêcher de rire...

"mais pauvre âne, vous êtes un tout petit neurologue de mes deux dans un hôpital de province, vous n'êtes pas professeur, dans vos lits, il y a de pauvres grabataires qui ululent à la nuit, je le sais, je les entends, je les vois quand je sprinte dans le couloir. Vous leur laissez les fesses à l'air, ils ont des escarres et tout le monde a un accès direct à leur trou du cul, c'est neurologique un trou du cul ?"

Et c'est superbement écrit. Ca me scotche, ton histoire, et la plume qui la rédige. Scotché, dis-je...

:-) Mille baisers

Je danse sur un fil a dit…

Et ben, c'est la première fois que tu laisses un commentaire sur le "Journal ralenti", je sais, tu m'as dit pourquoi tu n'en laissais pas, mais j'apprécie celui-ci !
Mille et un baisers à toi aussi.

Diane a dit…

Ouf comme je sens l'incapacité des gens a pouvoir se défendre adéquatement dans ces lieux. On sent l'étouffement, la démesure,
atteindre les limites partout comme enfermés dans une petite boite de carton avec les parois qui nous touchent.
Il faut être défensif comme toi pour pouvoir réussir a faire cesser cette médication de merde et t'éviter de partir au "dépotoir" des malades.

Que peuvent faire ceux qui ne sont pas combatifs? RIEN s'ils n'ont pas de famille pour les défendre.

OUF Il n'y a pas que Chris quoi soit scotché tu sais...C'est la première fois que quelqu'un me le fait vivre de l'intérieur.

Ça se bouscule dans les têtes hein?

Diane a dit…

Et oui ma fois, tu es assez comique dans tes descriptions si réelles.

Anonyme a dit…

Style vif et acéré tout comme le contenu.
Grossière ? Mais vu les circonstances, comment ne pas l'être ?
Bises Lolo !

Je danse sur un fil a dit…

Oui Diane, c'est toujours d'actualité. Si tu es un patient docile et qui gobe tout sans poser de questions, alors l'hôpital et sa grande machine te broie.
Je crois que mon naturel déterminé comme disait mon père est remonté au grand galop, je ne supporte pas le manque de respect et avant d'être la malade de la chambre 14, j'étais avant tout un animal doué de parole. Quand j'ai la rage, je n'ai vraiment peur de rien et surtout pas d'un neurologue à la gomme
;-)
Ceux qui ne sont épaulés par personne, qui n'ont ni amis, ni famille, ceux là ont vite fait de partir, je le constate encore presque quotidiennement.

Leil, tu me fais rigoler dans ton commentaire, "style vif et acéré", pour être acéré, il l'était, arf !